Claude Rapin,
Mukhammadjon Isamiddinov,
Mutallib Khasanov
La tombe princière Kangju de Koktepe près de Samarkand et les invasions nomades en Asie centrale. Retour Accueil

En 1999 et 2000, la Mission archéologique franco-ouzbèke a mis au jour au sommet de la butte principale de Koktepe, site connu pour ses vestiges de l’Age du fer ancien et de l’époque achéménide (Gava avestique et Gabai achéménide), un ensemble de tombes datables des environs du IIe-Ier siècle avant notre ère et du IIe siècle de notre ère, ainsi que la tombe monumentale d’une femme décédée dans les premières décennies du Ier siècle de notre ère. Alors que les tombes les plus anciennes semblent avoir été détruites très tôt, la tombe principale, de type à catacombe transversale et dromos, a été découverte avec l’ensemble du mobilier funéraire, en dépit de plusieurs tentatives de pillage anciennes.

Les trouvailles principales sont constituées de récipients en céramique et en bronze utilisés lors du repas funéraire. Parmi les trouvailles figurent 345 bractées qui, avec trois appliques incrustées de turquoises et des perles en verre d’origine indienne avaient décoré le vêtement. Outre des brûle-parfums et d’autres instruments personnels, la défunte avait à son côté une bourse contenant un miroir chinois de l’époque Han et un peigne en os de type scytho-sarmate à protomes de chevaux opposés. Selon Michelle Glantz de l’Université de Colorado, la défunte était âgée d’environ 25 ans, comme l’atteste l’état de ses dents. Son crâne avait subi la pratique de la déformation artificielle propre aux élites nomades de l’Asie centrale, iconographiquement attestée, par exemple, sur les plaques en os du site proche d’Orlat et dans les représentations des guerriers de la frise du palais dynastique de Khalchayan.

Les réflexions menées à propos de la tombe de Koktepe ont conduit à préciser le tableau des invasions nomades qui se succèdent entre l’époque hellénistique et l’époque kouchane sur l’ensemble du territoire gréco-bactrien. Le cadre historique, publié dans les Compte-rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (juin 2002), est progressivement revu:

Phase Afrasiab IB) De 329-327 au début du IIIe siècle av. J.-C.: conquête d’Alexandre et lutte contre les nomades “scythes”, notamment à l'ouest et au nord de la plaine du Zeravshan, au-delà du Syr-darya et à l’entrée du Ferghana, et contre les Dahes à l'ouest du Kashka-darya. Première phase hellénistique à Afrasiab, qui, sur le plan de la typologie déramique étudiée par B. Myonnet, s'inscrit dans la suite de l'époque achéménide (“Afrasiab 0 et IA”).

Phase Afrasiab IIA) Époque séleucide et début de l'époque gréco-bactrienne jusqu'au règne de Diodote I. Remplacement des fortifications de l'époque achéménide dans le cadre du dernier grand programme urbain de l'époque hellénistique

Phase Afrasiab IIB) Vers le milieu du IIIe s. et le début du IIe s. av. J.‑C., la pression nomade entraîne l’abandon par les Grecs de la plaine du Zerafshan et la construction par Euthydème I de la muraille des Portes de Fer de Derbent. Les nomades sont mentionnés dans le contexte de l’intervention d’Antiochos III contre Euthydème en 206-205. Le site d’Afrasiab-Marakanda semble alors inhabité et des nomades sont déjà installés dans la plaine.

Phase Afrasiab III) Présence nomade vers le milieu du IIe s. av. J.‑C. (arrivée des Sacarauques?). Incursions d'Eucratide depuis Aï Khanoum-Eucratidia dans le but de reprendre le contrôle de la Sogdiane, d'abord par le Kashka-darya (cf le trésor monétaire de Kitab). Au sud de l'Oxus, le pouvoir hellénique se termine de manière abrupte vers 144 par l’invasion de la Bactriane orientale par les nomades Sai (Scythes), puis vers 130 par les Yueh-chi-Tokhari qui vont également s'emparer de Bactres. Première série de tombes nomades à Koktepe

Phase Afrasiab IV) Réurbanisation entre le Ier et le IIIe siècle. Tombe aristocratique de Koktepe relevant d'un courant de nomades enrichis par leur position sur la route de la soie, possesseurs de métaux précieux, notamment de bijouterie à décor polychrome, que l’on retrouve dans le cas de la nécropole de Tilla-tepe en Afghanistan, puis, plus tard, dans les nécropoles sarmates-alanes de la région de la Volga et de la mer Noire. Historiquement, cette période correspond peut-être à la chute des Sacarauques. Comme de nombreuses autres sépultures voisines du Ier s. de n.è., la tombe monumentale de Koktepe atteste du passage de la région sous le pouvoir nomade Kangju (les Asii-Asiani des sources classiques, selon des théories récentes), rival des Kouchans sédentarisés. La muraille des Portes de Fer de Derbent est reconstruite par ces derniers qui doivent défendre leur territoire de leurs voisins nomades. La réurbanisation se fait sous la forme de petits centres. La capitale Kangju pourrait être alors le site de caractère nomade de Kalai Zakhoki Maron (aujourd’hui dans la ville de Karshi: R.Kh. Sulejmanov, Drevnij Nakhshab, Samarkand, Tashkent, 2000).


Bibliographie :


Rapin, C., M. Isamiddinov, M. Khasanov, «La tombe d’une princesse nomade à Koktepe près de Samarkand» (communication Acad. Inscr. et B.-L., 12 janvier 2001), Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2001, p. 33-92. 

Rapin, C., «Nomads and the shaping of Central Asia (from the early Iron Age to the Kushan period)», in Proceedings of the conference After Alexander: Central Asia before Islam (London, British Academy, 23-25 June 2004), 2007.


Rapin, C., «Les Portes de Fer de Derbent: histoire d’une frontière», dans Au fil des routes de la soie, Chemins d’étoiles, 11, 2003, p. 148-156.

Voir également le site de la Mafouz

© C. Rapin. Novembre 2005